Il y a deux ans, il nous offrait le magnifique Flower Boy. Aujourd’hui, Tyler, The Creator est de retour avec un projet encore plus ambitieux. Avec IGOR, le rappeur casse les codes et nous propose un album aussi déconcertant que fascinant.
Tout droit sorti de l’imagination de Tyler, The Creator, IGOR est né le 17 mai dernier. Pour son sixième album, le rappeur californien se glisse de nouveau dans la peau d’un alter ego. Une perruque blonde, une paire de lunettes de soleil et des costumes aux couleurs vives : voilà les principales caractéristiques d’IGOR, un personnage qui se veut unique en son genre, tout comme l’album qui porte son nom.
La machine créative qu’est Tyler, The Creator est aux commandes de l’entièreté de l’opus. De l’écriture des paroles à la production musicale, IGOR est le fruit d’un cerveau en ébullition. Il décontenance tout en enivrant.
« Ne vous attendez pas à un album de rap »
Dès le début, le rappeur nous prévient : « Ce n’est pas BASTARD. Ce n’est pas GOBLIN. Ce n’est pas WOLF. (…) C’est IGOR. » Une annonce plus que préventive à l’égard de son public qui a l’habitude d’entendre un certain registre chez l’artiste. Un rap agressif et tenace qui marque l’esprit grâce à son unique timbre de voix rauque, reconnaissable entre mille. Il poursuit : « Ne vous attendez pas à un album de rap ». Déjà avec Flower Boy, son dernier album, Tyler, The Creator a démontré qu’il était en pleine mouvance musicale. Avec des productions plus douces et une voix extrêmement trafiquée sur certains morceaux, il a surpris son audience dans le bon sens du terme.
Après plus de deux ans de travail, IGOR est le parfait cocktail entre le Tyler de Flower Boy et celui de ses précédents opus. Ainsi, ce nouvel album est un véritable feu d’artifice d’extravagance et de maturité. Tyler Okonma de son vrai nom dévoile enfin qui il est réellement à travers sa musique. Il oscille entre le chant et le rap, entre la hargne et la douceur pour nous raconter une histoire. Celle d’IGOR.
L’histoire d’IGOR
À travers l’écoute des douze morceaux, nous plongeons dans l’univers compliqué que sont les relations amoureuses. En particulier celle de ce cher IGOR. « Don’t leave it’s my fault », déplore-t-il sur « EARFQUAKE ». Visiblement entiché de cette mystérieuse personne, IGOR tente désespérément de la retenir en dévoilant ses sentiments les plus profonds. Ainsi, il se débarrasse de ses émotions, un poids qui l’empêchait, jusque-là, d’avancer. Mais comme se mettre à nu n’est pas dans les habitudes de Tyler, The Creator, son personnage se retrouve alors fortement désemparé. Ainsi, dans « I THINK », il réalise ce qu’est véritablement l’amour : « I think I’ve fallen in love ».
De ce constat, le rappeur californien est confronté par toutes les étapes de la rupture amoureuse. Après la phase du désespoir, prêt à tout pour reconquérir son amoureux(se), c’est la folie qui l’emporte dans « NEW MAGIC WAND » où des pensées meurtrières lui traversent l’esprit.
Ces dernières disparaissent aussi rapidement qu’elles sont apparues. Tyler constate dans le huitième morceau de l’album, « PUPPET », qu’il est totalement sous l’emprise de cette personne. Il dépeint les points négatifs et positifs de sa relation jusqu’à se rendre compte de la toxicité qui l’entoure. Alors qu’il semble être débarrassé de ses sentiments dans « I DON’T LOVE YOU ANYMORE », IGOR est en réalité fragilisé par cette rupture et prétend s’en être remis. Dans le douzième et dernier morceau de l’album, il tente tout de même de savoir si cette relation peut devenir amicale. Car en fin de compte, si Tyler, The Creator se dit ne plus être amoureux, il conclut son opus par un cri de rage qui étouffe sa dernière pensée, comme s’il tentait de la dissimuler : « Can’t say goodbye ».
La confrontation de sonorités
Dans l’idée de recherche musicale, les sonorités des douze titres se confrontent les unes aux autres comme les sentiments du rappeur. Dès le premier morceau intitulé « IGOR’S THEME », Tyler, The Creator met l’accent sur l’oscillation des genres. D’une introduction bruyante et saisissante, les instruments se fondent entre eux pour laisser place au son harmonieux du piano. Un prélude qui présente parfaitement l’instabilité émotionnelle de l’album. À plusieurs reprises, les productions traduisent cette inconstance en alternant les tonalités agressives et mélodieuses. Ainsi, « GONE, GONE / THANK YOU » succède au très rude « WHAT’S GOOD ».
Une expérimentation musicale incroyablement maîtrisée qui permet de raconter l’aventure amoureuse d’IGOR aussi bien par le biais de l’écriture que par la musique.
Mais au fond, s’agit-il réellement de l’histoire d’IGOR ? N’est-ce pas plutôt l’histoire de Tyler, The Creator, conté par cet alter ego ? Dans le monde du rap, la vulnérabilité apparaît comme un défaut. Pourtant, c’est en dévoilant ce trait de caractère qu’un artiste semble déverser son art avec une réelle splendeur. IGOR en est la preuve. En mettant sa pudeur au placard, Tyler, The Creator a pu concentrer toutes ses émotions dans la création de ce bijou. Sans se soucier du public et de la case de rappeur dans laquelle il a été placé, l’artiste californien a lâché prise afin de concevoir un album qui est (enfin) digne de le représenter lui et sa créativité à sa juste valeur.